Six mois dans la France d’en bas

La France d'en bas, les prolétaires, les « milieux populaires »... Quel que soit le terme employé, les mots cachent une réalité peu palpable pour ceux qui n'en font pas partie. Cette réalité, des journalistes ont voulu s'y frotter pour mieux comprendre la vie de ceux qu'ils ne connaissent qu'à travers les statistiques.

Le Tamiflu, qui n’en a pas encore entendu parler ? Cet antiviral a atteint une grande notoriété depuis l’apparition de la grippe A, présenté comme le remède miracle face au virus A/H1N1. Et pourtant, son efficacité et la manière dont il est distribué suscitent bien des interrogations…

L’oséltamivir, plus connu sous sa dénomination commerciale de Tamiflu, est le principal médicament à être prescrit dès les premiers symptômes de grippe A. La France s’est ainsi procuré un stock de 33 millions de traitements antiviraux, Tamiflu et Relenza, de quoi soigner près de la moitié de la population en cas de pandémie. A priori cette quantité ne sera pas dépassée, et si besoin est, des commandes supplémentaires pourraient être effectuées par le gouvernement. Les antiviraux, qui peuvent avoir dans certains cas des effets secondaires graves, ne sont par ailleurs pas systématiquement prescrits. « Actuellement, on a des critères qui sont des critères de traitement très serrés. Dans 90% des cas, je dirais qu’on n’a pas besoin de traiter le patient, la gravité de la grippe A étant très modérée », explique Benoit Guery, infectiologue au CHRU de Lille.

Pourtant, les conditions d’approvisionnement ne sont pourtant pas les mêmes pour tout le monde. Tant que la France demeure cantonnée au niveau 5 d’alerte, l’antiviral ne sera distribué gratuitement qu’aux victimes présentant des signes de déficience immunitaire : celles souffrant d’une infection de longue durée, les personnes âgées et les enfants. Le traitement des femmes enceintes est également pris en charge par l’assurance maladie, car elles sont particulièrement menacées par le virus A/H1N1. Ainsi, aux Etats-Unis, 13% des 45 décès enregistrés entre le 15 avril et le 16 juin étaient des femmes enceintes qui ont développé une pneumonie virale accompagnée de difficultés respiratoires suite à une infection par le virus.

La gratuité ? A la tête du patient…

Si le médicament est d’ores est déjà gratuit pour les personnes à la santé fragile, il demeure payant pour les autres et la sécurité sociale ne rembourse qu’à  hauteur de 35% de son montant. Sachant que la boîte de 10 comprimés de Tamiflu 75 mg coûte 24,85 euros en pharmacie, cela peut revenir cher à certains patients, en particulier ceux qui n’ont pas de mutuelle. Le délai est également restreint, puisque le traitement antiviral doit être entamé dans les 48 heures après l’apparition des premiers symptômes pour être pleinement efficace. Mais efficace contre quoi, au juste ? Dans la plupart des cas, la maladie reste bénigne.

Le Pr François Bricaire, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière et co-auteur de “Pandémie, la grande menace” qualifie le virus de « bénin » en précisant que : « le nombre de cas enregistrés en France est un  tout à fait normal pour une grippe qui se propage à grande vitesse. Mais, ce n’est pas un virus très dangereux. » En effet, parmi les 1.058 cas confirmés ou probables, le seul décès imputable à la grippe A concernait une jeune fille souffrant initialement d’une pneumonie.

La gestion des autorités en question

Les autorités sanitaires devraient pourtant être mises à rude épreuve à la rentrée face à une deuxième vague de grippe accompagnée d’une éventuelle mutation du virus. La question est donc de savoir si elles seront aptes à gérer une situation qui s’annonce imprévisible.
Le stock de 33 millions d’antiviraux et de plus d’un milliard de masques de protection est géré par l’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS). Le sénateur du Val-de-Marne Jean-Jacques Jégou (Union Centriste) a récemment présenté un rapport critique à l’égard de la manière dont l’EPRUS mène ses actions liées à la grippe A. Il dénonce notamment le fait que les 72 sites de stockage seraient trop dispersés et parfois inappropriés. La répartition des fonctions entre les différents établissements publics et agences sanitaires ne serait par ailleurs pas assez transparente pour assurer une coordination parfaite en cas de danger imminent pour la santé publique.

Les professionnels de santé craignent une grippe A mutante, plus dangereuse

Quant à la possibilité de mutation, le Pr Guery explique : « On a des stocks de Tamiflu qui sont à priori suffisants et avec une molécule qui est toujours efficace, mais il n’y a aucun engagement possible sur l’efficacité de cette molécule à long terme, puisque le virus peut aussi essayer de muter et devenir résistant au Tamiflu. » Selon l’infectiologue, il pourrait y avoir « des recombinaisons du virus qui vont lui donner la capacité d’être beaucoup plus sévère en termes de conséquences qui ne l’est actuellement. »
Des cas de résistance au Tamiflu sont déjà apparus près de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique ainsi qu’au Danemark et au Canada. Si un patient se révèle être porteur d’une souche du virus résistante au traitement antiviral, la science est pour l’heure impuissante et la seule chose qui reste à faire est d’attendre que le patient guérisse tout seul….

Confrontés à un risque de mutation du virus qui rendrait les antiviraux inefficaces, les laboratoires préparent le vaccin dans l’urgence. Dans ce contexte, il reste à espérer que les critiques du sénateur Jégou se révèleront infondées.

Iris HARTL

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