Jeudi Noir ouvre un Squat Universitaire (en plein Paris)

Le collectif "des galériens du logement" Jeudi noir cherche des locataires gratuits – aucun garant demandé . Reportage sur place.

Hier, à 21 heures, Valérie Pécresse inaugurait une cité U à Bobigny et annonçait à l’AFP avoir « dépassé les objectifs fixés ». Des objectifs qui font rire jaune le collectif Jeudi Noir (référence au journal d’annonces immobilières PAP, en kiosques tous les jeudis) Alors qu’on estime à 2,2 millions le nombre d’étudiants, l’offre de logements dédiée plafonne à 320 000 locations. Ce qui en laisse une majorité sous le seuil de pauvreté : d’après l’Observatoire de la vie étudiante, ils gagnent à peine plus de 500 € par mois en moyenne. Et avec l’augmentation des frais d’inscription en universités notamment (d’après le syndicat étudiant UNEF, + 27% en licence et +70% en master depuis 2001) le nombre d’étudiants SDF est exponentiel. Face à cette problématique, les membres de Jeudi Noir ont tout simplement appliqué eux-mêmes la loi de 1945 sur la réquisition des bâtiments vides, en en forçant un laissé vaquant depuis 6 ans par ses propriétaires.

Passage de la bonne Graine : ça ne s’invente pas ! Le lieu, dans le 11ème arrondissement de Paris, conduisent certains à parler de petite « prise de la Bastille » en raison de sa proximité avec la place du même nom. A mon arrivée, à 15 heures, une dizaine de jeunes  -et moins jeunes  – sont attablés. Des bribes de phrases parviennent jusqu’à l’entrée entre deux éclats de rire : « Les pommes de terre sont bio – J’ai lu une étude disant que le bio n’est pas meilleur que le non-bio – Oh, n’importe quoi ! – Dis nous que les lardons sont végétariens, aussi… » On rit, on parle fort, mais surtout : on travaille. D’ailleurs, le mini règlement intérieur le rappelle. « Au menu, travail, mousseux, sexe, travail, travail et travail ! »

« On fait deux fois mieux que Valérie Pécresse »

Yannick Comenge, un des piliers du réseau, chercheur en biologie, est venu avec sa fille de 13 mois. Porte-bébé sur le ventre, il me guide à travers les cuisines (deux plaques électriques, des éviers individuels et une tonne de boîte de conserves) et me présente « Manu » Manuel Domergue, une des têtes du collectif qui se veut « sans chef ». Dans le milieu (comprenez le milieu associatif, pas la mafia) il est connu pour être, avec quelques autres, à l’initiative des collectifs Génération Précaire ou Sauvons les riches qui s’était illustré en offrant à Jean Sarkozy un diplôme de « fils à papa ».  « On a parlé de lui dans le Times la semaine dernière » précise son acolyte Yannick, non sans fierté.

Au premier étage, les fenêtres sont murées et le confort sommaire se résume à un matelas par terre. Le deuxième est plus aménagé : entre les fils électriques et le linge qui sèche dans les couloirs, je croise Bolewa, étudiant en licence de droit à la Sorbonne, qui occupe une des 66 chambres du bâtiment. Il a déposé un tapis , des partitions de Mozart et le dernier Anna Gavalda au pied de son lit. 15m2, une petite salle de bain privative, sa chambre n’a rien à envier aux « 30 studettes trouvées par Valérie Pécresse ». Ce qui amuse les étudiants : « Nous, sans moyen, on trouve 66 chambres en deux mois. Elle, avec le budget de Ministère et des années d’expérience, fait deux fois moins bien ! »

« Jeudi Noir cherche en permanence des locaux. On tourne, on cherche, on interroge les voisins, les commerçants… si l’immeuble parait inoccupé, on vérifie au cadastre, et banco : on force et on s’installe ! » explique Victor, 35 ans, technicien audiovisuel. L’immeuble de 7 étages a été racheté à La Poste par la société Adoma, qui a annoncé récemment vouloir le transformer en foyer pour travailleurs immigrés. « C’est le deal : ils ont un projet social, alors mi-novembre, on lève le camp » concède calmement Victor. « Je suis bien logé, mais ça n’a pas toujours été le cas. Quand j’ai cherché un appart pour la première fois, j’étais effaré par les garanties demandées, les ‘’3 fois le loyer’’ etc. D’où mon engagement pour le logement étudiant. »

1 appartement sur 10 inoccupé à Paris

Bolewa, lui, n’a pas les moyens de louer un studio. « Une chambre de bonne, c’est 500 € au moins, en région parisienne. Alors même avec une APL de 100 € – le maximum pour un étudiant- il faut encore trouver 400 €. Je ne vous parle pas  de l’habillement. Je ne suis pas quelqu’un de la mode, mais il me faut bien un t-shirt, un pantalon, une paire de chaussures. Pour un homme, il n’existe pas de magasin bon marché, c’est rapidement 100 € même pendant les soldes. Plus de l’argent pour les transports, les repas, les livres. Donc il faut gagner a minima 800 € » presque l’équivalent d’un emploi à plein temps. « Impossible dans ces conditions de poursuivre des études ! » lâche l’étudiant, qui ne compte même pas dans son budget « une vie sociale ». « Soirée en boîte, bouteille de champagne et taxi ? – Ah non, ça je ne sais même pas ce que c’est, je ne connais pas ! » avoue le jeune homme qui se considère chanceux d’avoir « des amis à Paris chez qui se poser à droite, à gauche, entre deux logements. »

A Paris, d’après les membres du collectif, 1 appartement sur 10 serait inoccupé depuis un délai conséquent.  Ils déplorent tous un désintérêt et un manque de volonté politique. Et si Christine Boutin les a reçus l’an dernier pour écouter leurs propositions, elle n’a plus jamais donné suite. « Par fierté… » suppose Victor.

Mais attention : Jeudi Noir, ce n’est pas l’auberge espagnole. Les étudiants croisés étaient plus absorbés par leurs livres que par le flirt. Pour bénéficier d’une chambre gratuite, il faut montrer patte blanche. Pas de garants demandés, mais une solide motivation : « En cas de procès, on doit pouvoir prouver que les étudiants sont dans le besoin et n’ont pas d’autre alternative que le squatt. » détaille Victor, qui anticipe toute action judiciaire. Avis aux étudiants désargentés : présentez-vous au 24, passage de la Bonne Graine, et demandez Manu. N’oubliez pas de ne pas amener votre dossier.

Voir la “cité U” en diaporama de photos:

Marlène Schiappa

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