Cantines scolaires gratuites: pour ou contre ?

La cantine gratuite, c'est dans l'absolu une idée approuvée par les parents économes. Mais cette mesure égalitariste ne serait-elle pas créatrice d'inégalités, au contraire ? Par Alice Buckler.

Plus de six millions d’élèves (un élève sur deux dans le primaire, et deux collégiens ou lycéens sur trois) y mange chaque jour. Gérée par les municipalités, la cantine scolaire gratuite est-elle envisageable ?

Depuis juin 1881, l’école est gratuite. Mais qu’en est-il de la cantine ? A priori, hors du temps scolaire, la cantine est un service à facturer au même titre que les loisirs, les courses ou le loyer. Elle est payante car elle engendre des frais, salaires des cuisiniers ou des commis, des “dames de service”, matériel, repas… Pourtant certaines mairies qui ont tenté la cantine gratuite, comme Drancy et le Bourget  (mairies UDF) ouvrent le débat : alors, pour ou contre la gratuité de la cantine scolaire ?

  • Gratuit, mais pour qui ?

Les différences de moyens sont encore plus flagrantes à l’école : tenues vestimentaires, matériel, sorties, et surtout cantine ou pas. En effet, près d’un ménage sur huit vit avec moins de 950 euros par mois, et 30 % des foyers monoparentaux vivent sous le seuil de pauvreté (Source Le Point, sep.2010).

Selon Jean-Christophe Lagarde, député-maire de Drancy, il y a une contraction entre l’école obligatoire et la cantine facultative : « Il y a trop d’enfants qui ne vont pas à la cantine car ils n’en ont pas les moyens, et ne mangent pas ou mal quand ils rentrent chez eux », explique-t-il. Car certains parents dans le besoin optent pour des repas maison à moins de 1 ou 2 euros, pas forcément toujours équilibrés.

Dans sa commune (64.500 habitants), où le revenu moyen est de 1.300 euros, 73% des familles payaient le tarif maximum de 3,22 euros, seules 7 familles bénéficiant d’un repas à 50 cents d’euros. Il souhaite donc avec cette mesure offrir « un puissant coup de pouce au budget des familles » : C’est 130 euros par mois d’économie pour une famille de deux enfants…

Pour Alda Péreira, maire PS de Noisy-le-sec, c’est une fausse bonne idée : « Ce sont les familles les plus aisées qui en ont bénéficié ! ». En effet, la cantine est facturée selon un barème: en gommant son tarif, on gomme la participation proportionnelle des ménages.

Pour Stéphanie, maman de deux enfants, membre de nombreuses associations et à la tête du site , la solution serait une « gratuité à la carte ». Pour elle, la cantine doit être gratuite pour les parents qui n’ont pas les moyens, en raison de l’équilibre alimentaire : « malheureusement pour certains enfants c’est le seul repas chaud et équilibré qu’ils auront (voir le seul repas de la journée). Je pense que dans ce cas-là, la cantine devrait être gratuite ».

Camille, 29 ans, deux enfants, assistante de promotion, est plus pragmatique : « Je trouve ça très juste que ce soit calculé en fonction des ressources des parents ». En effet, le fameux quotient familial de la CAF (qui varie selon les revenus des parents) sert de base pour calculer le prix de la crèche, ou de la cantine.

  • Gratuit, mais pour quelle qualité ?

Mais si la gratuité parait dans l’idéal régler le problème du financement, elle pose la question de la qualité : Stéphanie confie que les cantines sont déjà surchargées… « Je n’ose pas imaginer si elles étaient gratuites ! ». Les mairies de Drancy et du Bourget (UDF devenus Nouveau Centre), qui ont dû s’adapter, en recrutant une vingtaine de surveillants par exemple, il n’est pas question de revenir sur la gratuité.

Pour Camille, le fait de payer garantie un minimum de qualité. « Dans la cantine de mon fils, ils ont certains plat “maison”, des produits “bio”, des fruits et légumes frais, … ». Elle préfère donc une cantine payante mais de qualité à une cantine low cost au service minimum. Mais elle émet tout de même une réserve : « A 4,30 € le repas, je trouve ça excessif pour la quantité qu’un enfant de cet âge mange ! ». En effet, une mini assiette de purée, une tranche de jambon, un fromage et une compote, cela ne revient pas très cher – même quand on ajoute les frais de personnel.

Alors passer à la gratuité, oui, mais en conservant des repas élaborés par des diététiciens, avec des produits frais, et un accueil de qualité.

  • Gratuit, mais à quel prix ?

Seules les rares communes ayant expérimenté le dispositif peuvent se rendre compte du manque à gagner : Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), par exemple, a annoncé un déficit budgétaire, pour 2008, de 2,5 millions d’euros, imputés en grande partie à la gratuité de la restauration scolaire, décidée par l’ancienne équipe MoDem-UMP. L’équipe de la nouvelle maire (PS) a donc décidé de ne pas poursuivre cette mesure…

En effet, dans cette ville de 38 600 habitants, la gratuité de la demi-pension a entraîné 300 000 € de recettes en moins pour la commune et 800 000 € de dépenses en plus (remise aux normes des cuisines, repas et salaire pour le personnel supplémentaire), (Source : Le Parisien, mars 2008).

Concernant Drancy et Le Bourget, la gratuité représentait en 2008 une perte de recettes d’1,1 million d’euros par an, compensée pour moitié par les économies liées notamment à la mise en commun des moyens et pour l’autre moitié par la dotation de l’Etat versée à la communauté d’agglomérations. Martine, ATSEM, 45 ans, trois enfants, exprime sa réserve sur la démarche : « Bien sûr, c’est une bonne mesure pour les parents qui n’ont pas d’argent. Mais il y a déjà les locaux à rénover, il faut plus de postes d’enseignants, plus de matériels, … L’argent mis dans la cantine fera défaut ailleurs. »

  • Alors, on fait quoi ?

Carole, 30 ans enseignante et mère d’élève dans une association de parents, s’est penchée sur la question : « Il faudrait un système de bons, comme les tickets restaurants pour les adultes. Par exemple, la CAF pourrait distribuer des bons de cantine aux parents les plus nécessiteux. Ou faire comme la coopérative scolaire, c’est à dire un don en début d’année, où chaque parent choisi le montant qu’il donne… ». Cela inciterait des parents à profiter du système ? Pas forcément. Une déléguée de parents d’élèves d’une ville aisée du 92 nous rapporte que la coopérative se chiffre chaque année en milliers d’euros, alors qu’elle est basée sur un volontariat de dons facultatifs.

Sortir la cantine d’une logique capitaliste de rendement permettrait par exemple de faire travailler des associations de réinsertion, des producteurs locaux, ou créer un système de parrainage entre la ferme et l’école, chaque classe prenant en charge un élevage. Carole poursuit : « L’école est trop souvent rabaissée aux grèves d’enseignants, aux fermetures de postes ou aux rythmes scolaires ! Il y a tellement de choses à réorganiser, la cantine fait partie intégrante de l’école, elle aussi aurait droit à ses états généraux… ».

Et vous, qu’en pensez-vous ? Etes-vous pour ou contre la gratuité de la cantine ?

Alice Buckler

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