Un taux de croissance qui avoisine les 5 %, une classe moyenne en bonne santé, un système scolaire parmi les meilleurs du monde, une liberté de la femme jalousée par nombre de pays, des investisseurs étrangers qui injectent des milliards d’euros chaque année…
Tunisie des cartes postales, Tunisie de la réalité
La Tunisie est en apparence une région économiquement stable. En apparence seulement. Derrière la jolie carte postale que vous présentent les agences de voyages, il y a une image moins glamour.
Même si la grande manifestation du 14 janvier, fatale à l’ancien Président de République Ben Ali, a surtout scandé des slogans pour plus de démocratie et de liberté, la genèse de ce mécontentement a pour origine la détresse sociale. « Rappelez-vous ce Bou Azizi qui s’est immolé. Un jeune diplômé sans travail qui, pour subvenir au besoin de sa famille, vendait des fruits et légumes au marché… Et des bou Aziz, il y a en des milliers en Tunisie. La chute du régime ne les avait pas fait disparaitre. Bien au contraire, aujourd’hui, ils parlent… » raconte Farid Chaouki, avocat au barreau de Tunis. Une situation qui risque de s’aggraver « Depuis de Ben Ali, le tourisme est en mode pause, poursuit le juriste, hors, c'est le poumon du pays ».
150 euros par mois pour travailler dans le tourisme
Premier secteur économique de la Tunisie, le tourisme fait vivre des milliers de familles : chauffeur de taxi, personnels des hôtels, des agences de voyages, des zones balnéaires… « Je tourne au rond depuis des jours et des jours, les clients européens ont disparu. Même si la vie reprend, je galère en ce moment, mais bon, je touche quand même salaire », explique Mahmoud, animateur dans un hôtel de Gammarth.
Sa rémunération ? Elle avoisine les 300 dinars (150 euros) : « Je dois m’estimer heureux, car le salaire minimum en Tunisie ne dépasse guère les 250 dinars (125 euros). Mais impossible de faire des folies ou de louer un appartement, affirme ce trentenaire, père de trois enfants. « Je loge avec mes parents dans un deux pièces. Seul mon père touche une retraite de 90 dinars (45 euros) », tient-il à préciser.
” Je suis marchand ambulant comme le défunt Bou Aziz “
200 dinars (100 euros) pour les dépenses alimentaires, 90 dinars (45 euros) pour l’électricité et le gaz, il ne lui reste presque rien à la fin du mois. « Pour arrondir les fins mois, je suis marchand ambulant comme le défunt Bou Aziz », confie-t-il.
Longtemps, la Tunisie s’est vantée de posséder un taux de diplômés parmi les plus importants d’Afrique. Des têtes pleines, certes… mais sans travail : « Ma famille s’est saignée pour que je fasse des longues études. Malgré mon diplôme de finance, je suis sans emploi… en attendant, j'occupe un poste de gardien pour une banque pour un modique salaire de 350 dinars (175 euros), à défaut de travailler dans ses locaux en tant que financier », raconte Heidi, la vingtaine finissante.
” Aucune initiative n’était possible. Aujourd’hui, j'espère trouver un travail “
Un jeune financier plein d’espoir depuis le soulèvement : « La famille du Président ont accaparé tous les marchés publics et rackettés les investisseurs privés. Derrière la vitrine libérale, l’économie est en fait contrôlée par un clan. Aucune initiative n’était possible. Je pense que cela va changer maintenant. J’espère trouver un travail assez rapidement ».
En attendant, il doit patienter et se serrer la ceinture « Mon père est malade sans pension, ma mère est morte. Je vis avec mes trois sœurs diplômées comme moi, mais sans travail. Je suis le pilier de la famille. Si je meurs par exemple, ma famille se retrouvera en grande difficulté », prévient Heidi. Mais le tableau n’était pas tout noir. Une autre classe peut se targuer de vivre correctement… à crédit.
Les vannes du crédit conso ouvertes par Ben Ali
L’ancien régime s’est appuyé sur la classe moyenne. Pour cela, il a ouvert les vannes de la consommation. Tout ou presque s’achète à crédit : maison, voiture, mobilier, nourriture…Et en Tunisie plus qu’ailleurs, c’est un jeu d’enfant d’obtenir un financement : « L’endettement maximum est de 40 %. Mais le message véhiculé par le pouvoir est le suivant : facilité le crédit. Du coup, les gens se retrouvent à rembourser des crédits au-delà de leur rémunération », constate Haikel, un cadre dans une banque tunisienne.
« Je suis propriétaire de ma maison, je possède une voiture, j'ai une télévision plasma, des meubles à la mode, un iPhone dernier cri… Mais pour quel sacrifice. Je gagne 650 dinars (325 euros) et je rembourse 400 dinars (200 euros) de mensualités par mois. Je suis au bord du suicide », affirme Gabsi, un cadre dans une société privée. Une tentation de tout instant pour ce quadra : « Les publicités à la télévision, les vendeurs qui vous harcèlent à l’entrée des magasins… Et puis il y a aussi un réflexe psychologique. On se dit que posséder tout cela, c'est aussi se dire que nous sommes heureux, car nous avons des biens ».
Résultat, une deuxième bombe à retardement risque d’exploser dans très peu de temps : le surendettement de la classe moyenne… pilier de l’ancien régime.