Les entrepreneurs ont rendez-vous avec la crise

Les entrepreneurs ont rendez-vous avec la crise, mais la crise n’est pas là et les entrepreneurs l’attendent.

A l’annonce de l’ouverture du premier « charity-shop » français, certains consommateurs se réjouissent alors que d’ autres ont du mal à saisir le concept. En effet, depuis 1953, ces magasins Anglais proposent des vêtements et objets d’ occasion à bas prix et reversent les bénéfices à une association. Pourtant, chez Merci, ouvert cette semaine près de la place de la Bastille, à Paris, on se croirait plus chez Colette qu’aux puces de Saint-Ouen. Des touristes tout autant que des habitants du quartier se pressent dans la petite cour pavée, admirant la voiture surréaliste qui attire les curieux, avant de pénétrer dans ce lieu inédit : magasin, musée, bouquiniste, œuvre caritative, Merci, c’est tout ça à la fois.

Au rez-de-chaussée, un espace fleuriste (un peu déserté en ce mercredi après-midi) et un atelier Annick Goutal où les parfums se vendent 40% moins cher qu’ailleurs, avec un conditionnement moindre, accueillent les visiteurs. Après une table jonchée d’exemplaires du livre « Merci » de Daniel Pennac, une immense bibliothèque de classiques, neufs ou de seconde main (Alcools d’Apollinaire, mais aussi du Zola ou Autant en emporte le vent en Anglais) sont prêtés ou vendus, entre 5 et 20 Euros. Celle qui semble être la responsable du « café littéraire » rappelle quelques consignes à celui qui semble être le serveur « Il y a deux entrées, alors circule bien dans la salle. On fera une réunion cet après-midi pour gérer l’organisation. Où met-on ceux qui prennent des livres ? » Pendant qu’un ouvrier sur son escabeau achève la peinture des toilettes, dont la porte entrebaillée laisse percevoir une véritable œuvre d’art sur les murs. Les clients se promènent, mais consomment peu : avec la décoration soignée, presque mise en scène, sur le thème du mot « merci » et le calme respectueux qui règne dans le grand loft, Merci ressemble davantage à une galerie d’ art qu’à une friperie.

Au premier étage, une future cliente passe d’une armoire à l’autre, un peu déboussolée, en s’étonnant des prix élevés. Elle regarde un chemisier à 120 Euros. La vendeuse-hôtesse tente de justifier : « Avez-vous entendu parler du concept du magasin ? Ce sont des pièces uniques, faites par des créateurs, pour le lancement… les bénéfices sont reversés.» En réalité, certains créateurs, comme Stella Mc Cartney, APC, Paul Smith, ont accepté de renoncer à leur marge bénéficiaire au profit d’associations de femmes et d’enfants d’Inde et de Madagascar, comme le rappellent les tableaux exposés sur les murs de l’espace (1500 m2 répartis sur 3 étages) L’ex future cliente est déçue, œuvre caritative ou pas, elle voulait des vêtements d’occasion bon marché, elle repartira sans rien. A l’étage du dessous, un couple se fait la même réflexion, en chuchotant : « Hein, c’est le prix, ça ? » devant un hochet rose en plastique à 35 Euros. Effectivement, avec des vases à 160 Euros, une chaise bleue pour enfant à 89 Euros, un petit carnet de ville format poche à 18 Euros, ou une cuillère à 19 Euros, on se croirait plus chez Habitat que chez Emmaüs.

Marie-France et Bernard Cohen, les fondateurs de la marque haut de gamme pour enfants Bompoint (le style de vêtements de la BD « Les Triplés ») à l’origine de ce nouveau concept, ont la volonté de faire se côtoyer des objets du quotidien (un bol en bambou à 5 Euros par exemple) et des objets plus rares, qu’ils soient vintage (une robe à 200 Euros) ou précieux (un canapé en cuir à 7000 Euros). Même si, ici, ce sont les objets abordables qui se font rares. Dans un esprit équitable, directement du producteur au consommateur, Merci fabrique également une ligne de vêtements et de meubles en Europe. Si un meuble vous intéresse, Merci met à votre disposition des petits carnets de fiches détachables indiquant les références, la couleur et le prix. Mais on n’oublie pas que la cible (« les jeunes ménages des alentours, les esthètes ») est concernée par l’environnement, alors à la caisse, on rappelle que les sacs sont en papier recyclé, réutilisables et qu’ils peuvent contenir jusqu’à 33 litres. On n’achète pas qu’un objet, on achète du sens, c’est ce qui est précisé noir sur beige « Ce sac peut contenir votre jean, votre assiette, votre amitié, votre soutien… »

Alors que les dons aux ONG et aux œuvres caritatives baissent dangereusement à cause de la crise, les altruistes fondateurs de Merci ont la double ambition de relancer à la fois les associations et la consommation. Les Cohen insistent d’ailleurs sur l’aspect caritatif : ces jeunes retraités ne veulent en aucun cas « se faire de l’argent ». En attendant de voir si l’idée se pérennise, entre la soirée d’inauguration people du 5 mars dernier et les noms prestigieux qui s’ affichent déjà sur le « livre d’or » du magasin, une chose est sûre : Merci s’adresse plus aux nantis qu’aux victimes de la récession.

Marlène Schiappa

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