Vis ma vie de caissière

Derrière les préjugés, de quoi la vie de caissière est-elle faite ? Nous leur avons demandé. Par Marlène Schiappa

Comment tu t’appelles ?

Caissière, hôtesse de caisse, assistante de caisse : autant d’expressions qui désignent ce métier difficile, peu valorisé et souvent mal payé. Même si Milla, 31 ans, caissière à plein temps, s’énerve quand on lui dit que « la profession de caissière est réservée aux personnes non-diplômées ou peu qualifiées : je vous signale que nous faisons de nombreuses additions tout au long de la journée, nous avons de lourdes responsabilités quant à l’argent, nous devons aussi être commerciales… »

Pour elle, le plus pénible reste le badge avec son prénom : « Tout le monde s’appelle Monsieur Untel ou Madame Machin, moi j’ai juste un prénom, comme une animatrice de téléphone rose. Et chacun se permet des commentaires, de m’appeler par mon prénom, me tutoyer, faire des blagues : le respect n’est pas toujours là. »

Travail à la chaîne ?

Des missions répétitives et proches du travail à la chaîne, mais des exigences et un niveau de responsabilité proche de celui d’un cadre : « Concrètement, si on rend mal la monnaie, on est responsable du trou de caisse. Un prélèvement (sommes remise au coffre) égaré, ça peut se chiffre en milliers d’euros. »

En bout de la chaîne du magasin, ce sont aussi les caissières qui essuient souvent les réflexions des clients. « Au lieu de se plaindre auprès du directeur du magasin, ils s’en prennent souvent à nous. Le magasin trop chauffé ou pas assez, les prix, les dates de péremption, tout y passe, comme si nous étions les gérantes ! Nous sommes parfois leur défouloir ils savent que nous n’avons pas le droit de répondre… » Difficile de rester calme et souriante en toutes circonstances !

Des trésors de diplomatie et de sérénité sont nécessaires pour prendre sur soi et éviter le clash avec un client, parfois exigeant à l’extrême : « Il y a ceux qui exigent qu’on remplisse leurs sacs, ceux qui nous parlent comme à des esclaves, ceux qui nous pourrissent quand on doit vérifier leur carte d’identité pour un chèque, par exemple… » disent-elles en chœur.

Des caissières bac+5

De fait, toutes les formations sont représentées devant une caisse : BEP, baccalauréat, BTS et même diplômes artistiques ou littéraires, comme en témoigne la célèbre Anna Sam dans son livre « Les tribulations d’une caissière » adapté de son blog, paru ensuite en livre de poche puis en BD.

Elle est devenue l’emblème de ces dizaines de milliers de caissières sur-diplômées mais bloquées à un poste en bas de l’échelle. Dans un sketch sur le sujet, par ailleurs relayé sur son blog, l’humoriste Jean-Luc Lemoine déplore la crise économique qui pousse des jeunes diplômés en master de management à accepter des emplois de caissiers et moque les exigences toujours plus fortes des employeurs.

Ainsi, derrière la caisse, se trouve donc peut-être une personne plus compétente ou plus diplômée que vous ne l’imaginez… et même quand ce n’est pas le cas, évitez de prononcer des phrases comme « Si tu travailles mal à l’école, tu vas finir comme la dame » en sa présence. « C’est assez impoli, en plus d’être vexant. » souligne Milla. Dans Les Tribulations d’une caissière, Anna Sam liste par ailleurs l’ensemble des comportements désagréables, comme les clients vissés au téléphone, hurlant, ou refusant de laisser passer des femmes enceintes ou des personnes âgées.

Les (quelques) avantages de la vie de caissière…

« Dans les magasins d’électroménager, on dit ‘’secrétaire d’accueil’’ » explique Stéphanie, de Rennes, qui exerce depuis sept ans. Elle ne connaît pas le livre d’Anna Sam, pourtant, leurs parcours sont semblables sur bien des apectes. Initialement, c’était un petit boulot d’étudiante « Puis ça s’est éternisé, j’ai obtenu ma licence d’histoire mais, malheureusement, pas le travail qui va avec. J’ai raté le CAPES d’histoire et entre temps, les règles ont changé, il faut désormais être titulaire d’un master. »

Alors, pourquoi rester ? « Finalement, il y a tout de même des avantages. Déjà, on est en CDI et mine de rien, ce n’est pas si fréquent : beaucoup de personnes de mon entourage sont en intérim, ou enchaînent des CDD. » raconte Stéphanie, qui rappelle que la France compterait près de 200 000 caissières.

… et ses (nombreux) inconvénients

Une caissière ne ramène pas de travail chez elle et dispose d’horaires fixes : ça, c’est la théorie. Dans la pratique, il n’est pas rare de faire des « heures de fond de caisse » : si votre caisse a un « trou », vous devez la recompter jusqu’à ce que l’erreur soit retrouvée et corrigée. Et sur des milliers de transactions dans la journée, il est statistiquement quasi impossible de ne faire aucune erreur de rendu de monnaie ou de saisie de chiffres ! Certaines rapportent même avoir rêvé de leur caisse, y compris pendant la nuit, tant leur corps avait mémorisé la position d’une caissière.

En outre, les horaires de travail peuvent être modifiées à souhait : « On connaît parfois notre planning la veille pour le lendemain, et en période de soldes ou de fêtes, nous sommes corvéables à merci, obligées d’être présentes les soirées, les dimanches.. » raconte Lise, caissière dans le magasin de vêtements d’un gros centre commercial en région parisienne.

Physiquement, le métier est aussi difficile : siège peu confortable, bruit assourdissant et incessant, les caissières souffrent souvent de torticolis, mal de dos et douleurs aux jambes. Paradoxalement, alors que la station debout est souvent décriée dans le commerce, c’est le fait de rester assise toute la journée qui peut être néfaste. Contrairement à une employée de bureau, la caissière n’a pas le loisir de se lever et quitter son poste dès qu’elle a des fourmis dans les jambes. « On a un truc : les bas de contention ! Ca évite au sang de stagner… » raconte Milla. Une journaliste de L’Express en immersion avait calculé qu’une caissière scanne un objet toutes les trois secondes en moyenne: un rythme de folie, quand on pense qu’aucune pause n’est possible en dehors des horaires prévues: pas question de planter la file d’attente des clients comme ça.

De caissière à star de cinéma

Par ailleurs, les caissières sont inquiètes sur l’avenir de leur métier : de plus en plus de machines, de rentabilité, de moins en moins d’humains : « Et si on n’a plus besoin de notre savoir-faire, quelle profession pourrons-nous exercer ? » interroge Milla.

Mais contrairement à ce qu’annonçait le titre du blog d’Anna Sam « Caissière no future », être caissière peut mener à différentes orientations professionnelles. J’en veux pour preuve le film « Les tribulations d’une caissière », en production, avec Marc Lavoine et Elsa Zylberstein, librement adapté du libre d’Anna Sam ! Un conte de fées moderne ?

Marlène Schiappa

Photo: DR Le Livre de Poche

Marlène Schiappa

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