Le samedi, c’est laverie

4% des ménages français n’ont pas de lave-linge. Comment s’organise la vie autour de la contrainte « samedi = laverie » ? Est-ce vraiment plus économique ? Qu’est-ce qui les empêche de s’équiper ? Ecotidien vous dit tout.

Sylvain a 36 ans et il est développeur informatique. Ce jeune père divorcé gère un budget pour le moins serré: sur 2000 € net de salaire, il consacre environ 400 € à l’éducation de ses deux filles (frais de cantine, baskets, habillements, matériel scolaire, sorties…) Il loue un 3 pièces en périphérie de Lyon pour 1000 € par mois charges comprises, et rembourse 200 € de crédit contracté au moment de son emménagement. Une fois payés les frais de transport, les repas, les factures, l’assurance… il ne lui reste plus rien. ” J’ai naturellement laissé l’électroménager à mon ex-femme, parce qu’elle devait avoir la garde des enfants. Finalement, j’ai obtenu une garde partagée pour ma plus grande joie. J’ai du parer au plus pressé et acheter un micro-ondes, des plaques de cuisson, un frigo… que je n’ai même pas fini de payer. Alors le lave-linge, c’est un luxe.”

Chaque samedi, Sylvain se rend donc à la laverie. Son rituel, des dizaines de milliers de personnes le connaissent: 4% des ménages français ne disposeraient pas d’un lave-linge à domicile. Sylvain remplit un sac de voyage avec le linge sale et emmène son propre paquet de lessive: “Sur place, dans la laverie que je fréquente, la dose de lessive est à 3 € par machine, et elle est en poudre bas de gamme. J’emmène mes doses de lessive, le paquet me coute 2 € et dure au moins 15 machines !” se réjouit le jeune papa, qui a appris sur le tard à gérer son linge. “Avec deux filles de 5 et 7 ans, je ne peux pas me permettre d’être négligé. Elles ont besoin de draps, de vêtements propres…” souligne-t-il. Depuis 1961 et l’ouverture du premier “lavomatique” en Normandie, le nombre de laveries n’a cessé de croître.

Anissa est une de ces habituées de la laverie: 20 ans, étudiante à l’Université de Nanterre, elle est entièrement indépendante. « Je travaille à mi-temps en plus de mes études de droit, je tiens à tout payer moi-même. J’ai ma fierté, je n’irai pas demander d’argent à mes parents ». De missions d’intérim aux soirées de baby-sitting, d’inventaires en magasins aux remplacements dans la restauration, elle touche entre 400 et 700 € par mois. Plus une petite allocation logement. Loin d’être suffisant pour vivre confortablement une fois le loyer de sa chambre de bonne (600 €) payé !

Pour réduire les frais de laverie, Anissa lave l’essentiel de ses vêtements à la main, dans son évier. “Je vais au lavomatic une fois tous les quinze jours en moyenne. Le samedi soir en général, car le samedi après-midi je travaille.” Même là-bas, pas de folie: Le tour de sèche-linge à 5 €, qu’il faut parfois renouveler, c’est inenvisageable: “J’étends le linge chez moi au retour; mais ce n’est pas génial parce que du coup je fais le trajet avec un sac rempli de linge mouillé.” Pour une machine classique, il faut donc compter un budget de presque 10 €, avec des variations du simple au double selon les régions. A ce tarif-là, et même en incluant les frais d’eau et d’électricité, un lave-linge serait rentabilisé en quelques mois.

Mais pour Anissa, un autre problème se pose: la place. “Même si j’avais là tout de suite 200 € devant moi, je n’aurais pas la place !” En effet, le canapé-lit, la cabine de douche et la kitchenette empêchent déjà de circuler dans son 11 m2. Avec le sourire, Anissa lance: “Et encore, heureusement que les toilettes sont sur le palier !” Sylvain, lui, commence à se renseigner: il est lassé des trop fréquentes pannes de machines et des week-ends perdus. “La machine premier prix est à 179 €, mais je devrais y ajouter un sèche linge à 150 € environ.”

Pourtant, pour acquérir un lave-linge, vous n’êtes pas obligé de passer par les circuits traditionnels: sur les sites de vente aux enchères, vous trouvez de bonnes affaires à partir de 70 €, à condition d’avoir la garantie et la facture du lave-linge, et de négocier une livraison – ce qui n’est pas gagné. Les magasins de deuxième main du type solderies, Emmaüs, Cash Converters, proposent eux aussi des lave-linge d’occasion. Même conditions que sur le web: rester très vigilant sur la provenance et la qualité, au risque de vous retrouver avec une machine défectueuse. Si on refuse de vous donner une garantie, refusez d’acheter. Jusqu’à l’an dernier, les salariés dont l’employeur adhérait à la SERAP pouvaient acheter de l’électroménager à -30% en moyenne. Mais les magasins ont fermé un à un, et l’entreprise est à ce jour en liquidation judiciaire. Il ne reste que quelques CE pour pallier ce manque en proposant à leurs salariés d’acheter directement des bons d’achats moins chers: posez la question à vos délégués du personnel. Non salarié, le système des achats groupés peut être votre salut : si vous tapez « achats groupés » sur un moteur de recherches, il ne vous restera plus qu’à choisir votre région ou votre club.

Mais la volonté d’avoir son propre lave-linge serait “une mode européenne” d’après certains observateurs. Aux Etats-Unis, bien des citadins se contentent du système « laverie ». « Presque un art de vivre » d’après un couple de New-Yorkais. La majorité des immeubles de grandes villes en sont équipés au sous-sol et c’est un même lieu de convivialité. En France, on en est loin. « La laverie bonne ambiance avec une bande de potes, c’est vraiment un mythe ! » confirme Sylvain qui n’a jamais fait de rencontre sur place. « Les gens sont pressés, certains ne restent même pas pendant que le linge se lave; on se dit à peine bonjour… » Mais pour Sylvain, bobio dans l’âme, le gros bémol reste le manque de considération écologique: « Impossibilité de choisir un programme court sur les machines 6kg, ou d’opter pour une lessive verte. » Les machines souvent anciennes ne se soucient pas non plus du niveau de consommation. Il promet qu’au moment de l’achat, il sera très vigilant sur ces points. Anissa, elle, n’en est pas encore là : « Franchement, quand je pourrais choisir ma propre machine à laver… c’est que ça ira bien pour moi » conclut-elle, rêveuse.

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