Moins de garden-party, plus d’économies ?

Dans un contexte où le train de vie du gouvernement fait polémique, le Président de la République a décidé d'annuler la traditionnelle garden-party du 14 juillet. Ce geste est-il un symbole fort ? Représente-t-il une économie ? Ecotidien fait le point avec deux spécialistes.

Anna a 19 ans et elle redouble sa première année de médecine à Tours. Logée et nourrie toute l’année chez ses parents, elle a cherché en vain un job d’étudiant autour de chez elle… « J’ai posé des CV dans toute ma ville pour tous les boulots : serveuse, caissière, aide-ménagère, vendeuse, FNAC, McDo, magasins de vêtements et même les maisons de retraite… mais fin juin, c’était trop tard », avant de trouver par hasard un emploi d’hôtesse dans un restaurant de luxe. Sa grand-mère, voisine du restaurant, connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui… vous imaginez la suite.

La voici donc en route pour l’entretien d’embauche le plus rapide du monde : « Le patron m’a regardée de haut en bas, puis m’a dit : “ Okay pour le mois d’août ; vous commencez le 1er, apportez une carte d’identité, carte vitale, et habillez-vous en noir ” » Une chance pour Anna, sans expérience et sans qualification ! Après quelques jours de formation avec une maître d’hôtel, le travail commence : enregistrer les réservations, placer les clients, présenter les cartes… « Dans les établissements de luxe, on anticipe les besoins des clients, en appelant par exemple leur chauffeur quand ils ont fini leur repas. » Un univers qui éblouit Anna jusque dans les toilettes : « Miroirs partout, robinets imitation or, murs dorés avec appliques en forme de feuille d’or, ambiance Versailles assurée ! » Qui croirait qu’on est en temps de crise ?

Mais dans ce restaurant très haut de gamme, la tenue du personnel se doit d’être sobre, en noir intégral : hors de question de faire de l’ombre aux belles dames qui prennent leur look très au sérieux et viennent dîner avec des lunettes Gucci sur la tête, des robes en cuir de créateurs et des stilettos rouges.  Anna, plutôt habituée aux jeans et aux spartiates, a du investir dans une tenue professionnelle : une jupe à 10 € acquise à la fin des soldes et des ballerines noires à 10 € « qui n’ont duré qu’un mois, à force de marcher avec tous les jours. »  Les clients sont en général très pointilleux sur leurs tenues, même si le costume n’est pas exigé. Une cliente s’est ainsi plainte à Anna d’un touriste chinois : « Mademoiselle, ce client est en tongs, ça me gêne de manger en sa présence ! »

L’étudiante se familiarise peu à peu avec les excentricités des « beautiful people ». « Ce qui m’a le plus choquée, c’est cette vieille dame, une habituée. Venue avec son petit chien blanc elle a commandé un plat à plus de 40 € à la carte et a demandé qu’on pose l’assiette par terre pour lui, sous mon regard médusé et celui, plus habitué à ce genre de frasques, de mes collègues. » Si certains clients sont adorables et entament la discussion, d’autres lancent leur carte bancaire, hurlent sur la pauvre Anna quand celle-ci les informe que leur AmEx ne passe pas ou tout simplement la toisent sans lui adresser un seul mot.

Parmi les sympathiques : « Ma collègue m’a dit que Nagui, Samy Naceri, Cyril Lignac sont venus l’année dernière ! » En été, ce sont les personnalités étrangères, touristes ou ambassadeurs qui prennent possession de la salle de 55 couverts.  « Beaucoup de clients demandent si le propriétaire viendra, mais il est surtout dans ses restos au Japon, à New York, Las Vegas, Tokyo…  Pour ma part, voir tous les soirs passer les belles assiettes de homard, de foie gras avec les toasts chaud, les gaspachos… était un vrai supplice alors que chez moi, je mangeais invariablement des coquillettes ou des conserves à 1,40 € ! »

La plus grosse addition de l’été : 2 270 €. « Cinq quadras, hommes et femmes, venus un soir. Presque la moitié de la note était en boissons : vin, champagne, digestifs. Généralement, les gens partent saouls : une femme qui se casse un talon, un homme qui titube, un couple qui part en riant très fort en se serrant… et on appelle un taxi. À la fin de la journée, nous partageons les pourboires en deux : cuisine et salle, puis à nouveau entre les personnes qui ont travaillé pendant  le service. Il nous reste entre 10 et 40 € chacun par service. »

En tout, Anna a touché 1 100 € net pour trois jours et demi de travail par semaine (de 10 heures à 1 heure du matin, avec une coupure entre 16 heures et 17 h 30) qui lui serviront à financer ses prochaines vacances d’été, « enfin, si j’ai validé ma première année de médecine  ! », précise-t-elle. « Je m’estime très bien payée, avec les pourboires ça m’a remboursé les frais quotidiens, et j’étais logée par ma grand-mère. Le boulot est difficile mais pas insurmontable. L’équipe était très sympa, pro, ils voulaient qu’on travaille vite et bien et c’était motivant, ça me changeait des études où on est assis en permanence ! »

Un bilan positif donc pour Anna, qui voulait faire connaissance avec le monde du travail. « On s’amuse, on en apprend beaucoup sur les gens et sur soi. Mais je ne ferais pas ça toute ma vie : calculer des additions et sourire à des gens bourrés de pognon… quitte à choisir, je préfèrerais être de l’autre coté du comptoir ! »

Marlène Schiappa

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